[AAC] Jeux et faits religieux, Sciences du jeu n° 15

Jeux et faits religieux

Sciences du jeu, numéro 15

Dossier thématique sous la coordination de Laurent Di Filippo

Appel à textes

Déjà évoqué chez des auteurs fondateurs des sciences sociales françaises (Mauss, 1904 ; Durkheim, 1912), puis repris dans des études classiques sur le jeu (Huizinga, 1938 ; Caillois, 1946 ; Henriot, 1969), l’étude des rapports entre jeux et faits religieux connaît un renouveau d’intérêt depuis quelques années dans le monde anglo-saxon, et plus spécifiquement dans le domaine des jeux vidéo (Detweiler, 2010 ; Wagner, 2012 ; Leibovitz, 2013 ; Schut, 2013 ; Bainbridge, 2013 ; Geraci, 2014 ; Campbell, Grieve, 2014). Le Heidelberg Journal of Religions on the Internet a consacré plusieurs numéros à cette thématique, et une nouvelle revue, Gamevironments, lui est entièrement consacrée.

Cet appel à contribution invite les chercheurs francophones à investir ce champ de recherche et à l’élargir à tout type de jeux afin d’éclairer la diversité des manières d’aborder ces questions. Les différents axes proposés ici ne sont pas exhaustifs et toute proposition consacrée aux rapports entre jeux et faits religieux est la bienvenue et sera évaluée.

Axe 1 : Mise en scène ludique des faits religieux

De nombreux jeux mettent en scène des faits et phénomènes religieux dans les jeux (Di Filippo, Schmoll, 2013). Certains dépeignent des divinités et des panthéons, soutenant ou s’opposant aux personnages. Des organisations religieuses, des cultes, des sectes, officient à leur service. Les personnages « prêtres » agissent au nom des divinités qu’ils servent. Des rituels doivent être accomplis ou empêchés et des lieux de culte, des temples, des églises ou cimetières contribuent à l’organisation de l’espace ludique. Les joueurs peuvent eux-mêmes mettre en scène des cérémonies religieuses (Servais, 2015). Enfin, dans les jeux de type « god game », tels que Populous (1989), les joueurs endossent le rôle d’un dieu pour façonner le monde.

De quelles manières les faits religieux sont-ils mis en scène dans les jeux ? Quelles places occupent-ils au sein d’un univers ou d’un système de règles ? Quels rôles les joueurs y tiennent-ils ? Quels sont les faits et phénomènes représentés ? De façon réflexive, cet axe interroge également, au sein des jeux, la variété des phénomènes sociaux que l’on rassemble sous le terme de « faits religieux ».

Axe 2 : Emprunts culturels

Les rapports entre jeux et faits religieux passent aussi par des emprunts culturels, processus impliquant des transformations au cours du temps, jusqu’aux appropriations contemporaines. Des récits mythiques servent d’inspiration pour la construction de mondes ludiques. La notion de « mana », empruntée à la langue polynésienne, est devenue le terme pour désigner la puissance magique (Meylan, 2017). Les druides et les chamans font référence aux traditions celtes et sibériennes et les trolls renvoient au folklore scandinave.

Quelles sont les sources et les traditions auxquelles les jeux font référence ? Comment les éléments empruntés ont-ils évolué et se sont-ils transformés au cours du temps ? Qui sont les acteurs qui ont contribué à ces emprunts ? À travers ces questionnements, cet axe renvoie à la question plus fondamentale de la continuité et du changement en SHS.

Axe 3 : Jeux et polémiques religieuses

L’utilisation ludique de lieux de culte, de croyances, de symboles, de figures religieuses, engendre des réactions de personnes attachées à leur caractère sacré (Wagner, 2013). En parallèle, des jeux ont fait l’objet de critiques mettant en garde contre leur caractère moral dangereux, malfaisant et subversif. Ainsi, les jeux de rôle furent-ils attaqués aux États-Unis au début des années 1980 (Laylock, 2015) et en France dans les années 1990 (Matelly, 1997).

Quelles polémiques les jeux ont-ils provoquées ? Quelles réactions ces polémiques ont-elles suscitées ? Quels rôles les références religieuses ont-elles dans ces polémiques ? Qui sont les acteurs engagés dans ces polémiques ? Quelles idéologies et visions du monde sous-jacentes peut-on retrouver dans les jeux et quelles places y tiennent les références aux faits religieux ? Ce troisième axe invite à revenir sur les notions de « second degré » (Brougère, 2005) ou de « distance ludique » (Henriot, 1989) qui sont cœur de certaines définitions du jeu.

Axe 4 : Croisements entre jeux et faits religieux

Les phénomènes religieux peuvent induire une part de jeu, dévoilant une frontière poreuse entre ces phénomènes. Pratiques religieuses et jeu se côtoient dans le chamanisme sibérien (Hamayon, 2012). Les jeux sont utilisés dans l’éducation religieuse1 et le Moksha Patam, jeu d’origine indienne, est utilisé pour le développement personnel et spirituel. Le football est utilisé de façon métaphorique pour mettre en scène les croyances d’une secte en Corée du Sud (Luca, 2013). Les matchs peuvent aussi être interprétés comme des formes de rituels contemporains (Segalen, 1998).

Quelle place tiennent les jeux dans les phénomènes religieux ? Comment sont catégorisées les activités ludiques ou religieuses dans différentes cultures ou différentes langues ? Font-elles l’objet de croisements, de rapprochements, d’appropriations ou de détournements ? Peut-on jouer avec la religion ? Les jeux peuvent-ils être considérés comme des formes de rituels contemporains ? Cet axe met alors l’accent sur une approche anthropologique et ethnologique des jeux.

Axe 5 : Fondements épistémologiques

L’étude des rapports entre jeux et faits religieux renvoient aux fondements épistémologiques des SHS. Dès 1904, Marcel Mauss (1904) considère l’ouvrage de Walter Edmund Roth sur les jeux australiens comme une contribution aux réflexions sur l’esthétique et relève que les jeux ont un lien avec le rituel. Ce positionnement se retrouve dans le Manuel d’ethnographie (Mauss, 1947). Dans les cours qu’il donne à l’Institut d’Ethnologie, il affirme qu’« on ne peut pas séparer l’étude des mythes, des rites et des jeux » (Mauss, 2003). Émile Durkheim (1912 : 546) soutenait que les jeux, comme les principales formes de l’art, semblaient être nés de la religion et ont longtemps conservé un caractère religieux, mais « quand un rite ne sert plus qu’à distraire, ce n’est plus un rite ». Johan Huizinga (1938) inverse les perspectives de l’école durkheimienne, en plaçant le jeu à l’origine de la culture. Roger Callois (1946) tente de synthétiser ses apports avec ceux de l’école française de sociologie et suggère, au même moment qu’Émile Benveniste (1947), que jeu et sacré sont en opposition symétrique par rapport à la vie ordinaire. Le jeu devient alors « le profane pur ». Jacques Henriot (1969) fait également mention de cette opposition entre jeu et sacré que Maude Bonenfant (2015) associe à l’opposition entre déterminisme et libre arbitre. Ce bref aperçu ouvre à des problématiques plus fondamentales en SHS. Ces questions inviteront à réfléchir à ce que les sciences sociales des religions et leurs fondements peuvent apporter aux études sur le jeu.

Organisation scientifique

La réponse à cet appel se fait en deux temps.

Dans un premier temps, les auteurs désirant répondre à cet appel peuvent envoyer aux responsables du dossier une proposition n’excédant pas 5000 signes avant le 1er novembre 2019. Les responsables du dossier leur répondront quant à l’adéquation de celle-ci au projet.

Dans un deuxième temps, qu’ils/elles aient ou non soumis une proposition préalable, les auteurs envoient leur article ainsi que les éléments demandés en fichier joint (le nom du fichier est le nom de l’auteur) au format rtf. ou docx. Ce fichier est composé des éléments suivants :

  • le titre de l’article et le nom du (des) auteur(s) avec leur rattachement institutionnel et contact courriel ;
  • un résumé de 1000 signes, espaces compris, en français et en anglais ;
  • une liste de mots-clefs (5 à 8) en français et en anglais ;
  • l’article, d’une longueur de 25 000 à 50 000 signes, espaces compris, devra respecter les indications aux auteurs. Une autre version de l’article, entièrement anonyme (références, nom de l’auteur, etc.), devra également être jointe pour évaluation ;
  • une courte biographie du (des) auteur(es).

Ces documents sont envoyés par courrier électronique à Laurent Di Filippo (laurent@di-filippo.fr), au plus tard le 1er mars 2020.

Calendrier

  • 1er novembre 2019 : date limite pour soumettre une proposition (phase facultative)
  • 15 décembre 2019 : retours sur les résumés
  • 15 mars 2020 : date limite de réception des articles
  • 30 juin 2020 : retour des avis aux auteurs des articles après expertise en double aveugle
  • 1er octobre 2020 : date limite de remise de la 2e version des articles

Bibliography

BAINBRIDGE W. S. (2013), eGods. Faith versus Fantasy in Computer Gaming, Oxford/New York, Oxford University Press.

BENEVENISTE É. (1947), « La structure du jeu », Deucalion, n° 2, p. 161-167.

BONENFANT M. (2015), Le Libre Jeu. Réflexion sur l’appropriation de l’activité ludique, Montréal, Liber.

BROUGERE G. (2005), Jouer/Apprendre, Paris, Economica.

CAILLOIS R. (1946), « Le ludique et le sacré », Confluences, n° 10, p. 66-77.

CAMPBELL H. A., GRIEVE G. P. (eds) (2014), Playing with Religion in Digital Games, Bloomington/Indianapolis, Indiana University Press.

DETWEILER C. (ed.), (2010), Halos and Avatars. Playing Video Games with God, Louisville, Westminster John Knox Press.

DURKHEIM É. (1912), Les Formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, Félix Alcan, rééd. Paris, Presses universitaires de France, 2013.

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HENRIOT J. (1989), Sous couleur de jouer : la métaphore ludique, Paris, José Corti.

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LAYCOCK J. P. (2015), Dangerous Games : What the Moral Panic over Role-Playing Games Says about Play, Religion, and Imagined Worlds, Oakland, University of California Press.

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WAGNER R. (2013), « God in the Game : Cosmopolitanism and Religious Conflict in Video Games », Journal of the American Academy of Religion, vol. 84, n° 1, p. 249-261.

Version téléchargeable

Appel à texte n° 15

Notes

1 Voir le site : https://www.comptoir-religieux.fr/107-jeux-religieux, consulté le 08/06/2018.